Le train à « moyenne vitesse » de Via Rail (2024)

Auteur de plusieurs livres, Taras Grescoe est un journaliste montréalais spécialisé en urbanisme et en transport urbain qui donne depuis une douzaine d’années des conférences sur la mobilité durable. Dans son infolettre Straphanger, il raconte ce qu’il observe de mieux et de pire en matière de transport urbain chez nous et lors de ses voyages autour du monde.

J’ai été invité à un festival du livre à Québec ce printemps, et lorsque les organisateurs m’ont demandé comment je voulais m’y rendre depuis Montréal, j’ai répondu: «En train, bien sûr!»

La veille de mon départ, j’ai reçu un courriel m’informant d’un changement de siège, ce qui ne signifiait qu’une chose: un changement d’équipement. Mon cœur s’est serré lorsque j’ai pris les escaliers pour descendre sur le quai de la gare Centrale de Montréal. J’allais voyager dans une voiture économique LRC, le vilain petit canard de la flotte de Via Rail.

Le service ferroviaire national du Canada utilise des voitures d’une vétusté comique. Les amis qui viennent d’Europe, le continent de la grande vitesse, sont enclins à de longues exclamations, souvent sarcastiques, à propos du cliquetis des voitures qui circulent sur les rails canadiens. En fait, je suis plutôt heureux lorsqu’on m’attribue un siège dans une voiture RDC-1 (pour «Rail Diesel Car») en acier inoxydable, aux lignes épurées, ou, mieux encore, dans une Voiture-Classe économie. Les deux ont été construites par la Budd Car Company et récupérées d’occasion auprès d’Amtrak; les premières ont été fabriquées au milieu des années 1950, tandis que les secondes remontent à, croyez-le ou non, juste après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Je n’exagère pas — certaines ont été construites en 1946: vous pouvez consulter les spécifications ici. Elles sont plus que rétro. Ce sont des fossiles ambulants.

Mais la voiture que j’ai eue — et celle que la plupart des gens ont lorsqu’ils font le trajet Montréal-Toronto — était la Voiture Classe-économie LRC des années 1980, un des premiers efforts de Bombardier. C’est une voiture qui n’a rien de glamour. Le capitonnage et l’éclairage sont dignes de Greyhound; elle est bruyante, bancale et étroite. Quand j’ai demandé au chef de train sur le quai s’il y avait de nouveaux trains sur la ligne Montréal-Québec, il m’a répondu: «Oui, mais il y a eu une substitution aujourd’hui. Vous serez dans l’un des anciens.»

J’ai tiré le meilleur parti d’un voyage décevant. Nous sommes partis à l’heure, à 8h36, mais, comme j’en suis venu à m’y attendre avec Via Rail, nous sommes arrivés en retard, à midi moins cinq. Rien de surprenant à cela: les retards sont tellement prévisibles dans ce corridor que j’ajoute désormais 20minutes à chaque voyage que j’entreprends. (En fait, en 2023, seulement 59% des trains de Via Rail sont arrivés à l’heure.)

Mon voyage de retour vers Montréal était prévu pour 15h, un samedi. J’ai suivi le processus habituel qui consiste à faire la queue devant l’entrée du quai et à montrer la carte d’embarquement sur mon téléphone à un agent. C’est ainsi que l’on procède avec Amtrak et Via Rail — à la manière d’un embarquement dans un avion —, et c’est idiot. (Dans les gares de la plupart des grandes villes européennes, vous scannez votre billet à un portillon automatisé, puis vous vous rendez sur le quai, où vous attendez l’arrivée du train ou montez à votre guise s’il est déjà dans la gare.)

Cette fois-ci, j’en ai eu pour mon argent. Le train le plus récent de la flotte de Via Rail attendait au quai: le genre de train à grande vitesse à profil incliné que j’ai l’habitude de prendre en Europe et en Asie. Une locomotive Siemens Charger, pour être exact, avec des voitures de classes affaires et économique (que la multinationale allemande appelle «Venture») et une voiture cabine identique à la locomotive à l’autre bout, grâce à laquelle le train peut inverser la direction sans passer par des changements de voie compliqués et chronophages. Via Rail a acheté 32de ces rames (combinaisons locomotive-voitures), qui circulent désormais dans le corridor Québec-Windsor (avec sa pointe nord vers l’autre capitale nationale, Ottawa).

Première impression: pas mal, pas mal du tout. Un habillage jaune, gris clair et anthracite. Des écrans extérieurs à côté des portes coulissantes indiquant la destination finale et le numéro de la voiture (ce qui permet en théorie aux passagers de monter à bord sans avoir d’accompagnateur sur le quai pour les guider. Comme des grands!).

L’intérieur: étonnamment spacieux. Les allées sont plus larges d’un demi-pied que dans les voitures LRC, et il y a un espace vraiment généreux pour ranger les bagages à l’entrée. Même configuration que dans les autres trains — deux sièges, allée, deux sièges —, mais les sièges ne sont pas lourds, massifs et «richement» rembourrés comme dans les voitures LRC. Ils ressemblent plutôt à des sièges d’avion, avec une surface lisse en cuir et une bonne inclinaison.

Le train à «moyenne vitesse» de Via Rail (1)
Le train à «moyenne vitesse» de Via Rail (2)

J’ai embarqué 10minutes avant le départ, et nous sommes partis, sans tambour ni trompette, sur le coup de 15h. La sortie lente de la ville de Québec s’est également faite en douceur: moins de balancements et de roulements que ce à quoi je suis habitué dans les anciens trains de Via Rail. Une sensation de dépaysem*nt: quitter le centre pittoresque de la ville de Québec (qui ressemble à Saint-Malo ou à une autre ville fortifiée de l’ouest de la France) en passant par des centres commerciaux, des stationnements, des magasins à grande surface — je suis manifestement en Amérique du Nord, alors que fais-je dans un train à grande vitesse européen? J’ai ressenti la même chose quand les nouvelles rames d’Alstom sont arrivées dans le métro de ma ville: un sentiment de désorientation temporelle alors que les rames du XXIesiècle glissaient à travers les stations de Montréal vieilles de 60ans, à l’allure gogo-mod et remplies de mosaïques pop art.

Après m’être installé, j’ai emprunté une passerelle protégée pour accéder à la classe affaires, située derrière la locomotive avant. Même décor qu’en classe économique, mais avec des sièges plus larges, dans une configuration un siège, allée, deux sièges (ou «trois en travers»). Il y a également deux «aires de confidentialité», des pièces cloisonnées qui doivent probablement permettre aux cadres de se réunir pour discuter des moyens de gonfler leurs factures sans être entendus. Mais pas ce jour-là: il n’y avait qu’un seul passager dans toute la voiture. D’après mon expérience, le principal avantage des voyages d’affaires au Canada est la présence d’un chariot de boissons ambulant. L’alcool est à volonté, et certains en profitent. J’ai vu des bureaucrates d’Ottawa consommer des litres de bloody caesar — une spécialité de Via Rail — à partir de 11h du matin. (L’argent de vos impôts travaille, n’est-ce pas?)

Parlons des salles de bains maintenant. Énormes. Porte courbe futuriste actionnée par un bouton. Avec les larges allées et les ascenseurs sur les quais, ces trains sont accessibles aux fauteuils roulants et aux appareils de mobilité, ce qui est vraiment une excellente chose. Tout comme les stations où l’on peut remplir sa bouteille d’eau filtrée (j’en ai fini avec le plastique).

Après Saint-Lambert, je commençais déjà à penser à mes prochains voyages. Par exemple, étant donné l’espace offert dans le compartiment à bagages (et le petit logo de vélo éclairé sur l’écran extérieur), je pourrais sûrement apporter une bicyclette à bord. L’idéal pour une escapade en famille sans voiture — descendre à Drummondville et partir de là avec nos vélos. Hélas, lorsque j’ai posé la question à la préposée, elle m’a dit que les bicyclettes n’étaient pas encore autorisées à bord. «Revenez dans un mois, m’a-t-elle dit, il y aura peut-être moyen de réserver un espace d’ici l’été.» Grrrrrrrr. Le voyage multimodal, qui est très simple dans la plupart des pays d’Europe occidentale, est encore un combat sur ce continent.

J’en viens maintenant à l’essentiel: notre vitesse. Mauvaise nouvelle: elle reste assez lente pendant la majeure partie du trajet. Le défaut fatal de Via est qu’elle partage toujours les voies avec les trains de marchandises (j’en ai parlé ici, sans oublier ici). Des trains de marchandises lourds, très lourds, et ridiculement longs, qui non seulement causent des retards, mais déforment aussi les voies et les plateformes ferroviaires, ce qui rend dangereux le voyage à grande vitesse pour les trains de passagers qui les empruntent également. Les trains à grande vitesse sont plus performants lorsqu’ils circulent en ligne droite et à plat: le parcours que nous avons suivi était plutôt plat, mais la route via Drummondville est tout de même assez sinueuse.

Comme je l’ai déjà écrit, la seule ligne à grande vitesse au nord du Rio Grande est l’Acela, dans le corridor nord-est entre Boston et Philadelphie, et même cette ligne ne dépasse pas 240km/h, ce qui est bien loin de la norme de 300km/h en Europe et en Asie. La Brightline, ligne privée entre Miami et Orlando, semble rapide, mais elle a une vitesse moyenne de 111km/h et n’excède jamais 200km/h. (Une Brightline West est prévue pour Las Vegas – Los Angeles, à temps pour les Jeux olympiques de 2028.) Le train à grande vitesse californien, qui pourrait relier San Diego à San Francisco et à Sacramento, ne sera pas mis en service avant au moins 2030. Un projet prometteur est la Texas Central, une ligne privée qui ferait circuler des shinkansen (trains japonais à grande vitesse) entre Houston et Dallas. J’espère vivre assez longtemps pour voir cela. (Mais je ne serais pas surpris si ce n’était pas le cas.)

Sur certains tronçons, en particulier le long de la Transcanadienne à l’est de Montréal, nous avons atteint des vitesses respectables, allant jusqu’à nous permettre de dépasser les voitures. Le chiffre le plus élevé affiché sur l’écran ACL au plafond (une autre caractéristique à laquelle mes voyages en Europe m’ont habitué) était de 155km/h. À ce stade, la vitesse que ces trains Siemens sont autorisés à atteindre est de 160km/h, bien que leur vitesse maximale soit de 201km/h, ce qui est appréciable, même si c’est loin de constituer un record mondial. Donc, disons que, pour le moment, nous disposons de «trains à moyenne vitesse».

Pour la première fois depuis je ne sais plus combien de temps, Via Rail m’a amené à destination à l’heure. J’ai vu l’enseigne lumineuse FARINE FIVE ROSES le long du canal de Lachine, le signal que j’étais presque à la maison, et, à ma grande surprise, j’ai constaté que nous arrivions à la gare Centrale exactement 3heures et 11minutes après notre départ. Une vitesse moyenne de 85km/h. Encore loin des normes européennes, mais la meilleure que j’aie connue depuis longtemps. J’ai sorti mon sac du train, j’ai pris le métro et j’étais de retour chez moi, reposé et détendu, 35minutes plus tard.

Ces rames Siemens circulent déjà sur plusieurs lignes Amtrak aux États-Unis. (Faites défiler cette page vers le bas pour obtenir une liste.) La dernière information en date est qu’elles circuleront jusqu’à une fois par jour sur la ligne Ontario Northlander, qui sera bientôt relancée, au départ de la gare Union de Toronto, ce qui sera une aubaine pour Timmins et d’autres localités du nord de la province.

Maintenant que nous disposons de rames de trains à grande vitesse, nous avons besoin d’une véritable grande vitesse, en particulier dans le corridor Windsor-Québec, qui dessert plus de la moitié de la population du Canada. Il est encourageant de voir que, selon les dernières nouvelles, nous pourrions l’obtenir. Le débat est passé du train à grande fréquence et de l’électrification (les locomotives Siemens fonctionnent toujours au diésel, bien qu’elles puissent être converties au fil aérien) à l’électrification, la grande fréquence et la grande vitesse. Sur le tronçon Québec-Montréal, cela pourrait impliquer un nouveau tracé sur la rive nord du Saint-Laurent, desservant les centres beaucoup plus importants de Laval (440000habitants) et de Trois-Rivières (137000habitants).

Ce ne sera jamais assez tôt pour l’utilisateur des transports en commun que je suis.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée dans l’infolettre Straphanger, de Taras Grescoe.

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